Les constats sur les femmes et le vélo


Les femmes sont moins nombreuses à se déplacer à vélo au quotidien. Les petites filles apprennent plus tardivement à faire du vélo, accèdent moins à des pratiques estimées plus “casse-cou” comme le VTT. Surtout, elles sont plus nombreuses à ne jamais apprendre à faire de vélo.


Passé l’enfance, dans les clubs de sport, le nombre de licenciées femmes est très loin derrière celui des licenciés au masculin. En 2022 la Fédération française de cyclisme (FFC) enregistre seulement 11% de licences délivrées à des femmes. La pratique du gravel a aussi plus de mal à attirer un public féminin avec seulement 8% de femmes selon une étude menée en 2024 par Gravel Passion.

Les femmes ont plus difficilement accès à la pratique du vélo et aux pratiques sportives en général et cela se traduit dans les pratiques loisirs et de tourisme.



Le sport de haut niveau


Les compétitions sportives sont le reflet de cet état des lieux : on y observe un écart important entre femmes et hommes, notamment dans les pratiques d’ultradistance. Mêmes si ces chiffres ont heureusement tendance à évoluer à la hausse ces dernières années, elles ne sont généralement que 5% sur les lignes de départ de Triathlon XL ou d'Ultracyclisme.


Pour la première fois de l’Histoire, les Jeux Olympiques et Paralympiques étaient strictement paritaires ce qui veut dire autant de femmes que d’hommes dans les athlètes qualifiés. Et c’est vrai que pour la première fois on avait l’impression de voir des femmes partout dans les compétition. Merveilleux non ? “A l’image de la société”, comme n'a pu s'empêcher de le rappeler le Comité olympique en se targuant de cette décision. En effet il faut noter que les JO existent depuis le début du siècle dernier et qu’il faut attendre 2024 pour avoir la parité stricte entre athlètes.


Cependant la parité chez les athlètes des derniers JO et JOP cache une réalité tout autre : le sport de haut niveau reste à bien des égards un monde d’homme. Les entraineurs sont majoritairement masculins, ainsi que les commentateurs sportifs. Les femmes n’ont pas les mêmes accès aux financements : sponsors, contrats, salaires, etc. Elles n’ont pas le même traitement médiatique que les hommes, elles sont scrutées et jugées sur leur physique, les vêtements qu’elles portent, leur vie de famille.


Le corps d'une femme qui fait du sport et a fortiori de haut niveau est souvent jugé déformé par la pratique ou l'effort. On attend d’une femme un certain nombre d’attributs dits féminins, de caractéristiques et de valeurs de douceur, de grâce et tant d’autres.


En ça, les femmes sportives sont révolutionnaires car elles font l’expérience du processus de libération du muscle, du corps, elles déploient leurs mouvements. Elle dépasse le corps observé, le corps objet en faisant de leur corps un sujet, vivant et puissant, victorieux.

Les femmes exclues et invisibilisées dans le sport


L’imaginaire collectif est encore centré sur les pratiques sportives masculines. Comment pourrait-il en être autrement lorsque les pratiques sportives féminines sont majoritairement invisibilisées ?


On voit des corps performants d’hommes partout, tant dans l’espace public où ils investissent à 85 % les infrastructures sportives que dans la diffusion du sport de haut niveau à la TV.


Pour 1h de diffusion du sport féminin à la TV on a droit à 15h de compétition masculine (chiffres de l’ARCOM, 2023). On le voit avec le Tour de France, le monstre sacré du cyclisme qui a toujours été masculin. Jusqu’à la création il y a 4 ans du Tour de France féminin qui est évidemment bien moins médiatisé que son pendant masculin.


Les femmes, longtemps exclues de la pratique sportive, ont un siècle de retard dans la mise en mouvement de leur corps surtout dans une logique de performance. Elles n’ont pas eu, dans l’Histoire, accès de la même façon aux pratiques sportives, aux infrastructures et aux lieux d’entrainement des corps.

Elle ont dû, souvent, créer leur courant dissident, construire un univers sportif parallèle comme l’a fait Alice Milliat (1884-1957) en organisant des Jeux Olympiques féminins. En réaction à la création des Jeux Olympiques modernes et au conservatisme de Pierre de Coubertin leur fondateur, Alice Milliat organise les premiers JO féminins en 1922 à Paris. Elle porte alors une vision du sport pratiqué de la même manière par les femmes et les hommes.


Si Alice Milliat révolutionne le sport de son époque avec des JO féminins qui rencontrent un franc succès, les organisations sportives masculines déploient alors une grande énergie pour s’approprier son travail et faire du sport au féminin une façon de faire du sport pensé par des hommes. Résultat : elle tombe dans l’oubli et il faut attendre des années pour que son héritage soit remis en lumière.


Au-delà de ne pas permettre l’apprentissage et l’accès aux pratiques sportives, on désapprend aux femmes à habiter leur corps dès l’enfance. Les petites filles sont invitées à jouer sagement dans un coin de la cour de récré pendant que les petits garçons ont pour terrain de jeu l’immense terrain de foot où ils courent et crient à l’envie. Cela conduit à une desportivisation des femmes.

Nos pistes d'actions


Chez Bivouak on est 2 femmes aux manettes et la question de la place des femmes dans le vélo, le sport et l’aventure est centrale dans notre projet !


Nous organisons des événements qui ont pour ambition de donner à toustes un cadre dans lequel se sentir légitime et à l’aise pour se lancer. Des événements qui rassemblent et ressemblent à tout le monde, loin des clichés des événements cyclistes ordinaires où on atteint péniblement les quelques % de participantes. Et a priori, ça marche plutôt bien car on rassemble presque 40% de femmes sur nos événements en 2024 !


Nous voulons aussi plus globalement inviter à réfléchir sur la place des femmes dans notre société par le prisme du sport et du voyage.


Voici quelques pistes d’action (non exhaustives) que nous explorons :

  • Il est important pour les femmes de prendre leur place dans l’espace public et naturel, d’oser être là. Pour cela nous contribuons à créer des modèles féminins et à raconter leurs histoires ! Les récits sont puissants, les imaginaires qu’on propose participent à forger les réalités de demain.
  • La non-mixité est un outil très puissant pour permettre de prendre sa place justement, lutter contre les boys clubs et permettre à plus de femmes de se lancer. Cela passe par des évènements mais aussi par le travail primordial des collectifs (Ex : les Girls on Wheels à Paris et en province, le GREW), et des associations militantes. Cela permet de créer de l’espace et des espaces non préemptés directement par des hommes.
  • Il ne faudrait pas se cantonner à une injonction à ce que les femmes prennent plus de place sans questionner la place que prennent déjà les hommes. Nous estimons nécessaire de questionner cela dans les espaces en mixité. Cela passe par un cadre bienveillant et attentif à toustes : veiller à ce que chacun.e puisse s’exprimer, que la parole ne soit pas monopolisées systématiquement par les mêmes personnes, etc.
  • Enfin, nous souhaitons adresser les actes de sexisme ordinaires au maximum de nos capacités avec pédagogie et bienveillance.

Créons de nouveaux imaginaires enthousiasmants !


Alors il y a encore un peu de travail pour que les femmes accèdent de la même façon aux pratiques sportives et face l’expérience de la mise en mouvement en liberté.


Chez Bivouak nous essayons de mettre en place des actions à notre niveau : 40% de femmes sur nos événements en 2024 c’est bien mais pas encore assez !


Au-delà de nos événements, il est important pour nous de partager comment nous participons à lutter contre cette exclusion et cette desportivisation.


La première étape est de diffuser l’information, de participer à créer de nouveaux imaginaires. Nous voulons contribuer à créer des espace ou chacun et chacune se sente à sa place pour réaliser ce dont elle et il a envie, ici et maintenant !



Charlotte Jammes - Octobre 2024


Sources

(1) “Vélo et Genre : Penser des politiques cyclables plus ambitieuses”, BL Evolution**,** https://www.bl-evolution.com/velo-et-genre-penser-des-politiques-cyclables-plus-ambitieuses/

(2) “MTI Conseil et TNS Sofres, 2013 : Le vélo et les Français en 2012”, https://villes-cyclables.org/mediacenter/uploads/2012-les-francais-et-le-velo.pdf?version=5b1b8ea8

(3) Nombre de licences délivrées au sein de la Fédération française de cyclisme (FFC) en 2022, selon le sexe, https://fr.statista.com/statistiques/668381/nombre-licences-delivrees-ffc-cyclisme-par-sexe-france/

(4) “L’analyse du marché du gravel en 2024”, Gravel Passion https://www.gravelpassion.fr/marche-gravel-2024/

(5) Plus qu’une paire de seins avec Anne-Flore Marxer et Béatrice Barbusse, Vent debout (Acast)

(6) Les combattantes du sport et du genre, Un podcast à soi (Arte Radio), Charlotte Bienaimé

(7) Sports olympiques, médailles d’or du sexisme, Les Couilles sur la table (Binge Audio), Tal Madesta

(8) “Toutes musclées”, documentaire ARTE en 4 épisodes

(9) Film “Les Incorrectes”, Anne-Cécile Genre, Fondation Alice Milliat