Bivytopie c'est le podcast qui roule et déroule nos utopies itinérantes, à vélo ! Pour le deuxième épisode, on a interrogé Anaïs, on vous raconte.


Pour Anaïs, l'aventure à vélo commence avec le collectif des GOW, Girls on Wheels, un collectif de vélos entre femmes et minorités de genre. Anaïs, c'est des premières sorties teintées de timidité, des premiers kilomètres qui s'arrondissent, une place qui se trouve et l'envie urgente de dire à toutes les femmes de monter sur un vélo. Et un jour c'est l'envie d'aller plus loin, de tester ses limites, d'écouter ce que le corps dit quand il n'y a plus que lui, la route et l'horizon. En suivant sa voix, on parle de dépassement de soi, de sororité, de liberté et de tout ce qu'on découvre quand on choisit d'essayer.


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Je ne me sentais pas représentée


J'avais pas trop d'imaginaire parce que ce que je voyais dans les magazines ou à la télé, c'est un autre monde. Tu regardes le Tour de France, moi j'ai jamais accroché parce que c'est des ovnis. Je voyais un peu ça et les gens dans les magazines. Il n'y a pas de femmes et quand il y en a, quand il y en avait en tout cas, lorsque j'ai commencé le vélo, c'était toujours des meufs grandes, badass, filiformes, en lycra avec des vélos de fou, et moi ça me représentait pas quoi. Moi, je suis allé avec mon jean sur mon vélo de campagne pour aller à la plage, je le voyais comme deux mondes complètement différents, vraiment pas compatibles quoi. 

Les Girls on Wheels c'est un groupe qui roule tous les mercredis soirs à Paris, en mixité choisie.


C'est des petits rides, c'est des sorties d'une heure, une heure et demie, max. On part à 21h et l'idée, c'est de finir dans un endroit où on va boire des verres ensemble et on va parler. Et c'est là que tout commence, en fait. C'est ce bar où on se tape dans la main et on dit, viens, ce week-end, on va rouler. Et on vient, on va rouler 80, on vient, on va rouler 100. Ou alors, viens, on va faire du gravel dans le Cotentin. Ou viens, on descend dans le sud, faire le Mont Ventoux. Alors, qu'en fait, à la base, on était là pour faire un ride social de 15 bornes.


J'aime bien cette idée d'avancer et d'évolution. Tu pars dans un tout petit monde qui est celui des GOW, des Girls on Wheels. Tu fais un petit ride de 20 kilomètres le mercredi soir. Sans allure, et tu finis au bar. Et en fait, tu finis par faire de l'ultra distance. Franchement, je trouve ça chouette de se dire, tu te rends pas compte que tu fais les escaliers et les marches pour arriver à faire des trucs un peu fous. J'aime bien cette approche-là.


J'ai rejoint ce collectif parce qu'il y a un moment, je travaillais pas et je faisais tout le temps du vélo. J'avais un vélo de campagne, un vélo de ville, et j'avais envie de faire du vélo. Je dis ça à un copain qui est cycliste qui me dit : 'Attends, j'ai une collègue qui roule les mercredis avec des meufs.' Je vais te trouver le nom. Il m'a sorti le nom du groupe et je suis allée voir sur Facebook. Et j'ai trouvé ce groupe. Et j'ai vu des meufs trop badass. J'ai eu trop peur, en fait. Et pendant six mois, je suis pas allée. En fait, j'ai refermé le truc. Je me suis dit : 'C'est pas pour moi.'


Mais ça a continué à me trotter un peu dans la tête. Et je suis revenue six mois plus tard. Je leur ai dit : «Je voudrais m'acheter un vélo. Qu'est-ce que vous me conseillez comme vélo ?» Et là, j'ai eu une avalanche de réponses. Ah, mais ça dépend ce que tu veux faire. Tu peux faire ça. Ça dépend de ton budget. Tu peux aller sur Le Bon Coin. On a un groupe de Ventes des GOW. J'ai eu plein de conseils. Et après, je me suis acheté un vélo.


Tout le monde n'a pas les mêmes envies. Il y a des gens pour qui le vélo, c'est un moyen de déplacement tous les jours. Et il y en a pour qui c'est du voyage pendant des mois. Et il y en a, c'est des vacances d'une semaine. Une semaine où tu vas rencontrer des gens. Et d'autres, c'est une semaine d'ultra. Donc déjà, ce n'est pas la même chose.


Je peux parler de ce qui, moi, m'est arrivé. C'est que j'ai roulé un mercredi avec les GOW. On m'a dit, ce week-end, il y a un festival, ils organisent un ride, c'est 80 kilomètres. Viens. Je ne me suis pas posé la question. J'y suis allée. Il y avait plein de GOW, on a pris le départ. Et j'en ai chié. Et pendant tout le ride, il y avait des gens qui disaient, mais viens, t'inquiète. Et on l'a fait. On a bu des verres. Et après, on m'a dit, viens, la semaine prochaine, on fait Paris-Versailles. Ok, dans ma tête, Versailles, ce n'est pas loin. Mais en fait, eux, ils avaient prévu une carte qui passait par Versailles. Mais c'était 100 kilomètres. 


Et j'ai fait mon premier 100 bornes comme ça, ne sachant pas que j'allais faire 100 kilomètres dans la journée. Et comme j'étais avec des gens avec qui je roulais tous les mercredis régulièrement, je ne me suis pas posé la question. Ces personnes m'ont dit, viens avec nous. Et donc, naturellement, c'était faisable. Puisqu'eux, ils me validaient d'une certaine manière. Me faire venir avec eux était une approbation que c'était faisable. Et ils avaient raison. Et après, ça a été comme ça. Viens, on va faire Paris-Roubaix. Ok, et en fait, Paris-Roubaix, je me suis dit, mais c'est des pavés, en fait, Roubaix. Je ne savais pas. Parce que je ne connaissais pas du tout ce monde-là. Je n'ai jamais vraiment regardé le vélo à la télé, des trucs comme ça. Et en plus, c'est 130 bornes. Mais attendez, je n'ai jamais fait ça. Mais on y est allé. Et ça s'est fait. Et on s'est dit, OK, il faut qu'on soit arrivés avant 18h. On prendra le temps. On a fait des pauses. Et on l'a fait.

Dans ces groupes là, j'avais ma place


Je suis assez partante rapidement. Et dans ces groupes là, j'avais une approbation, j'avais ma place. Et je suis allée et j'étais trop timide. Franchement. Et il y a des filles qui sont arrivées et qui ont dit, ah, c'est ta première fois. Puis en fait, on a été trois nouvelles personnes ce jour-là. Et tu te dis, ah, OK, je ne suis pas la seule nouvelle.


Et puis, pour l'anecdote, ce premier ride-là, je suis tombée. On est allé rouler dans le bois de Vincennes et il y a eu un obstacle par terre. Et comme c'était la nuit, je ne l'ai pas vu. Donc, je me suis pris le petit terrain et je suis tombée. J'ai cassé mon vélo que je venais d'acheter. Et arrivé au bar, il y en a plein qui m'ont dit, ah, mais attends, mais je connais ce shop. Vas-y, c'est nos potes, tu peux y aller, ils vont te le réparer. Ah, mais sinon, il y a un tutoriel sur Internet, tu peux changer ton cintre, c'est hyper facile. Tu peux l'acheter là. Puis, je suis allée dans le magasin et je dis bonjour. Je fais partie des GOW, on m'a dit de venir. Et ils m’ont accueilli à bras ouverts, ils m'ont dit, attends, vas-y, on te le change, t'inquiète. Je me suis dit, je suis méga safe, en fait. Quoi que je fasse, on a une solution pour mes potentiels problèmes.


Il y a un groupe Facebook. Donc, tu rentres dedans. Ensuite, toutes les semaines, il y a une admin dit, 'on se retrouve mercredi à telle heure', pour tel niveau. Il y a plusieurs niveaux. Facile, vert, orange, rouge, c'est crescendo. Tu n’es jamais venue ? viens à un ride vert et on s'attend. C'est bienveillant, c'est pas long, t’inquiète, viens.


Et en plus, les gens publient sur le groupe. Ils vont dire, ah, bonjour, je suis dans tel coin d'Île-de-France. J'aimerais rouler samedi, mais j'ai pas d'idée de map. Est-ce que vous en avez ? Et du coup, les gens vont dire, ah, mais j'ai ça. Tu veux faire combien de bornes ? 50 bornes, OK. Ah, 120, bah, vas-y, j'ai ça. Et puis après, il y a des gens qui disent, ah, bah, moi, je peux venir rouler avec toi si tu veux, mais pas samedi, plutôt dimanche. Et les groupes s'organisent comme ça. Des fois, il y a des gens qui disent, ah, j'ai vu cette épreuve. C'est un truc de gravel à Châteauroux. Est-ce que ça vous dit ? On y va ? On y va ensemble ? J'ose pas m'inscrire. D'ailleurs, sans se connaître, les personnes s'organisent pour y aller ensemble.


Le groupe des GOW, il appartient à tout le monde et à personne. Et du coup, tu commences, tu n'as jamais fait de vélo, et puis il y a un moment, si tu as envie, tu peux devenir moteur et dire : 'Je vais faire des maps et je vais vous emmener, j'ai une idée.' Et ça, si tu es motivé, tu y vas. Comment on mappe ? Viens, on va te montrer.

Je dois énormément à ce groupe qui a été un tremplin énorme pour moi. Je ne sais pas si je ferais ce que je fais aujourd'hui sans ce tremplin là. Je ne sais pas si j'aurais pu trouver un autre tremplin qui me fasse arriver aussi vite à ce que j'ai fait. Et du coup, c'est important pour moi de se dire qu'il y a des déclencheurs pour des personnes qui ne sont rien.


C'est juste un vas-y, viens. Ça ne coûte rien de dire viens et puis l'endroit est sûr. Il y a plein de gens qui se plaignent qu’il n'y a pas de femmes dans le vélo. Mais qu'est-ce que vous faites pour qu'il y en ait plus ? Il y a plein d'actions possibles et je pense que ce groupe là, les groupes sociaux comme ça, ils ont leur part à jouer et on le voit. Un des leviers, c'est de se dire qu'il y a plein de freins pour les femmes au vélo dont ne pas trouver sa place. Et passer par des groupes comme ça ou des micro groupes, ça peut lever ce frein là.

Comment je suis passée d'un ride des GOW à de la longue distance ?


Ça a été graduel. J'ai roulé un ride GOW, puis 80 kilomètres, puis 100, 130, 170. À chaque fois, j'ai rencontré dans ces nouvelles étapes des nouvelles personnes. Des nouvelles personnes qui étaient déjà bien ancrées alors que pour moi, c'était une étape incroyable d'aller faire 120 bornes. C'était juste wow ! Et les personnes avec qui j'étais, pour elles, c'était genre la petite balade du dimanche. Et qui se disent, viens, on va faire l'étape d'après. C'est comme ça que j'ai monté les marches. À chaque fois, tu montes l'étape d'après et on te dit, non mais viens faire 200. Ah 200 km ? Bah ouais, c'est pas grave, on part à 6h du mat et on va voir la mer. Ok, on va voir la mer. Tu te poses pas la question.


Et tu te dis qu'en une journée tu peux aller voir la mer depuis Paris. Et une fois que t'as fait ça, tu te rends compte qu'en fait, la France, elle est toute petite. En deux jours de vélo, tu peux aller très très loin. Et en quatre, tu traverses la France en diagonale. 200 km, c'est fou, c'est puissant. Il y a plein de gens qui disent, ah mais t'as l'habitude, 200 km pour toi, c'est banal. Non, il n'y a aucun 200 km que je fais qui est banal, en fait. Il n'y a aucun 200 km où je finis la journée, j'éteins le GPS et je me dis, ah ouais, 200 km, c'est cool, ça n'existe pas.


J'ai fait ce petit jeu qui s'appelle Dodécaudax, qui vient du monde du cyclotourisme, qui consiste à faire 200 kilomètres par mois, tous les mois, pendant 12 mois d'affilée. Et quand j'ai commencé à faire ça, j'ai découvert le monde des BRM, des brevets de randonneurs mondiaux. Il y a des brevets de 200, 300, 400, 600, 1 000 kilomètres. C'est infini. Et c'est une grosse école du cyclisme et de l'ultra-distance. Et là, j'ai rencontré un autre monde, en fait. Il y a des épreuves qui sont hyper encadrées, parce que comme c'est des brevets, en fait, tu as des délais. Donc si tu veux valider, c'est pas genre juste, tu vas voir la mer, 200 bornes, tant que tu l'as fait, tu l'as fait.


C'était 200 bornes, c'est 13h30 maximum. Et du coup, savoir que tu as un délai, d'avoir une contrainte, il faut le vouloir, déjà. Tout le monde n'aime pas ça. Mais la contrainte force, c'est à toi de t'organiser et à optimiser tout ce que tu fais. Donc tu es obligé de te dire, tu roules pas vite, ce qui est mon cas, c'est pas grave. Tu peux rogner sur tes pauses. Tu peux organiser tes pauses pour qu'elles soient courtes et efficaces. Et du coup, t'as pas besoin de rouler à 30 km heure. Mais si tu veux rouler à 30 km heure et t'arrêter au resto, tu peux aussi le faire. Comme le délai est toujours le même pour la distance, donc tu fais 200 bornes, c'est toujours 13h30. La fois d'après, il n'y a pas de classement. Mais la fois d'après, tu peux comparer à ton 200 d'avant.


Le premier BRM que j'ai fait, c'était le BRM 200 Nana, qui est organisé par l'Audax Club Parisien. Et c'est un brevet qui est réservé aux femmes.


Il y avait 170 femmes au départ. C'était assez incroyable pour faire 200 bornes. Pour la troisième année, j'ai proposé au club de rajouter une distance. Donc c'était 200 kilomètres et j'ai dit maintenant, les femmes qui ont fait 200 bornes, c'est le moment d'aller leur dire qu'elles peuvent faire 300. Et donc on a ajouté au calendrier le 300 km. Quasiment toutes les femmes qui sont inscrites au 300 avaient fait le 200 les années d'avant. C'est l'étape d'après.


Et pour recouper avec les les GOW, on a fait un ride un soir. Et je les ai vues au bar. Je les vois du coin de l'œil. Il y a des meufs qui se tapent dans la main et se disent OK, on s'inscrit au 300. Au bar, elles se sont challengées pour se dire vas-y, on va faire le 300. Et elles l'ont fait. Et elles l'ont fait vraiment bien. Du coup, cette année, quand je les ai vues au départ, j'étais trop contente. Et quand je les ai vues à l'arrivée, quand j'ai vu leur sourire, je me suis dit : c'est de la satisfaction de se dire OK, elles étaient là sur un vélo vert. Et puis finalement, elles vont faire 300 bornes. Je pense que le pari, il est un peu gagné. Quand tu dis ça, la petite pierre à l'édifice, elle est là.

Dans ces endroits-là, il peut y avoir beaucoup de personnes envahissantes. Notamment des hommes qui vont partir du principe que si t'es une femme, c'est que t'es débutante.


Et ça peut être assez agaçant. Dire non mais je vais t'expliquer, fais ta sacoche comme ça, fais ci, fais ça. En fait, je t'ai rien demandé. Mais par défaut, si t'es une femme, tu vas avoir besoin d'aide. T'as un homme qui veut venir donner tes conseils et que toi t'es toute seule, il va prendre la position assez facilement. Alors que si t'es en groupe de deux, trois, ils vont moins être intrusifs.


Il y a des gens qui aiment rouler en groupes qui sont non mixtes. Et il y a des gens qui n'aiment pas ça. Et il y a des gens qui ont besoin de ça. Et il y a des gens qui n'en ont pas besoin. Moi, j'ai commencé par les GOW, en mixité choisie. Et tout de suite, je suis allée dans des groupes qui étaient mixtes. Je me suis pas posé la question, en fait. Je me sentais légitime dans ces autres groupes, mais au même titre que des femmes m'ont dit, « Viens, on va rouler plus de kilomètres que la fois d'avant. » Il y a des personnes qui m'ont dit, « Viens, on va dans ce groupe-là. » Et ça me paraissait naturel d'y aller. Après, quand tu prends de l'expérience, tu prends aussi le recul de te dire, « Tiens, c'est un groupe qui me convient pas. » Mais c'est pas parce qu'ils sont mixtes ou non mixtes. C'est juste que t'as pas d'affinité avec les gens, mais tu te trompes pas de vision. Si t'aimes pas le groupe, c'est juste que c'est pas tes potes. Point. Il y en a d'autres. À Paris, il y en a plein, des groupes comme ça. Tu peux pas tous les aimer.

Sur la longue distance, je suis assez solitaire.


Moi, j'aime bien rouler seule. Mais par contre, je peux passer ma journée seule, mais si le soir, on se retrouve tous pour manger avant d'aller se coucher, c'est trop bien. T'as eu les deux, t'as eu le moment où t'es seule dans tes pensées, tu peux partir loin, tu peux te ressourcer, tu peux t'évader dans tes pensées. La longue distance m'a appris qu'il faut une certaine forme de résilience dans ce que tu fais et qu'il y a plein de situations que tu peux anticiper et il y en a d'autres que tu peux pas anticiper. Et donc, toutes celles que tu peux anticiper, tu peux les préparer, en théorie, et puis les autres, tu t'adaptes.


Et ça, ça m'a appris que moi, j'ai une capacité d'adaptation qui peut être très forte et qui peut être aussi plus basse quand je suis fatiguée. Quand t'es fatiguée, t'es pas forcément lucide et du coup, ça demande le quadruple d'énergie pour te dire « Waouh, là, j'ai une merde que j'avais pas prévu, ça m'est jamais arrivé, qu'est-ce que je peux faire pour continuer à ce que ça fonctionne ? ». Tu sais, j'ai appris que j'arrivais à faire ça. Et dans mon quotidien, ça me sert vachement de dire « t'es capable de le faire à vélo, tu peux le faire dans cette situation aussi. » Tu te dis « Vas-y, c'est bon. ». Ça passe à vélo, ça passe dans la vie.

Je suis convaincue que si on a envie de faire de la longue distance, on peut en faire. On a toutes les clés en main.


Je suis pas rapide, mais il y a d'autres trucs où je rogne. Une pause, ça s'organise. Et le temps, quand tu t'arrêtes de faire une pause à vélo, il part en deux secondes. Tu t'arrêtes, tout d'un coup, tu te dis « Putain, ça fait 40 minutes que je suis assise. J'ai fait quoi ? J'ai bu de l'eau. » En fait, j'ai appris que les pauses, c'est un quart d'heure. Et dans ton quart d'heure, avant de faire ta pause, tu réfléchis qu'il faut que tu aies fait au moins tes trois trucs à faire. Tu t'arrêtes pas, tu fais pas ta pause si t'as pas trois trucs à faire. Donc, si j'ai juste envie de sortir des noisettes de ma sacoche, j'attends d'avoir envie de faire pipi et d'avoir besoin d'enlever ma veste parce que j'ai chaud. Et si j'ai ces trois trucs à faire, OK, là, je peux m'arrêter. Et du coup, tu peux t'arrêter un quart d'heure. Il y a plein de petits trucs comme ça où tu t'organises. Par exemple, pour manger, moi, je m'arrange toujours pour avoir un repas d'avance. Si je m'achète ce que je mange pour le midi, je prends également mon repas du soir. Comme ça, si j'ai un problème, j'ai pas besoin de faire de pause ou de chercher, de faire le tour du monde pour essayer de me trouver une baguette de pain et de quoi mettre quelque chose dedans. 


Le troisième jour, c'est le plus dur. Et quand tu le sais, tu le passes un peu mieux en disant « Ouais, c'est un sale moment, mais ça va passer. » Un peu comme une gueule de bois, tu vois. Tu subis, tu te détestes. Qu'est-ce que tu fous là ? Pourquoi t'as trop bu la veille ? Le troisième jour, c'est le plus dur. Le troisième jour, il est un peu pareil. Et puis, le quatrième jour, le corps, en fait, il commence un peu à rentrer dans des automatismes. Tu pédales, tu avances, tu manges. On a un corps qui a une capacité d'adaptation assez folle. On le sous-estime, mais le corps, il fait son travail. Il te dit « Ah, contrainte extérieure ? T'inquiètes, je gère. » 


J'ai eu ce cas-là l'été dernier. J'ai traversé la France. J'ai fait un truc qui s'appelle « In vino veritas ». Et j'étais solo. J'avais pris le départ deux jours plus tôt que tout le monde parce que je devais être rentrée plus tôt. Et il y avait un vent terrible. J'entendais pas ma musique. Je me souviens, j'ai fait un vocal avec Camille Soyer. Et je lui ai dit « J'en ai marre du vent. Je déteste ça. C'est nul. » Elle m'a répondu « N'importe qui en aurait le bol de trois jours de vent dans le nez. » Et je me suis dit « Ah, mais oui, mais grave. » Donc, c'est normal. Et je suis repartie. Et pareil, tu sais, c'est un petit mot-clé où elle m'a dit « c'est normal. » « Ah ouais, c'est normal. » « Ok, bah, tout va bien. » Et je suis repartie. Et j'avais toujours le vent dans la gueule. Mais mentalement, comme c'était la normalité, mes jambes, elles sont reparties.


La Desertus Bikus pareil, il y a plein de gens qui hésitent : je dis prends le temps ! Prends le temps, c'est fun. On est en Espagne, il va faire beau. Les automobilistes, ils sont sympas. Juste avance. Avance. T'arrêtes pas. Tu fais ce que tu peux. Ce sera cool. Et il y aura des potes à l'arrivée. C'est aussi, il y a ça, cette prise de recul. De se dire, physiquement, ton corps, il a dit stop. Tu l'écoutes. C'est important. Je trouve ça intéressant de comprendre son besoin. Comprendre ses envies. Si on est là pour faire du vélo plaisir ou pas. Et si t'es là pour faire du vélo plaisir, c'est intelligent de se dire « Ok, bah, le plaisir, il est plus là. Je lève le pied ou je bifurque. Ou je vais prendre un bain et j'arrête. » C'est important et je trouve ça fort.

Dans l'ultracyclisme, statistiquement, les femmes, elles ont un taux de réussite plus élevé parce qu'elles s'inscrivent pas de la même manière sur les épreuves que les hommes.


C'est-à-dire que les hommes, ils vont avoir tendance à dire « Ah, c'est génial, vas-y, je m'inscris. » Et on verra.


Les femmes, avant de s'inscrire, elles vont réfléchir. Est-ce que j'ai le matos ? Est-ce que je l'ai déjà fait ? Est-ce que j'aurai le temps pour m'entraîner ? Est-ce que mes enfants, quelqu'un va pouvoir s'en occuper pendant que je fais ça ? Elles posent plein de questions et après, elles s'inscrivent. Et donc, quand elles s'inscrivent, la majorité du temps, elles arrivent parce qu'elles ont coché toutes les cases de vérification. C'est possible.


Donc, de se dire, si t'as fait tout ça et malgré ça, tu dois te dire « Bah, je m'arrête », c'est que t'es hyper fort, quoi. Le vélo, on peut faire ce qu'on veut. C'est la liberté du vélo. T'es pas contraint. Et puis, ça reste un hobby. Ça, faut pas qu'on l'oublie. Même si tu vas te mettre dans une course où tu veux te mettre à mal parce que tu veux la finir en trois jours, bah, très bien, mais c'est un hobby.

Les gens projettent énormément de peurs sur nous.


Beaucoup disent « Mais tu vas faire comment ? Mais si tu t'endors sur le vélo ? Mais si t'as pas à manger ? » Bah oui, je roule pas dans le désert, en fait. Donc, euh ... Je vais avoir à manger sur moi, tu vois, des trucs comme ça. Et les gens, ils te font « Mais s'il fait chaud, tu vas pas avoir une insolation. » Je me mettrais de l'eau sur la tête et je vais boire. « Qu'est-ce qui se passe si tu casses ton vélo ? » Bah, j'irai à la gare. Enfin, tu vois, c'est ... J'ai cassé mon vélo un jour sur une diagonale. J'ai fait du stop. Y a un gars qui m'a emmené à la gare routière. J'ai pris un bus. J'ai mis mon vélo dans la soute du bus. Et après, j'ai pris le train. Je suis rentrée à Paris.

Lever les freins des femmes pour partir à l'aventure


A l'arrivée de la Desertus Bikus l'an dernier, il y a Yvan [l’organisateur de la course] qui m'a parlé du sujet des femmes.


Je lui ai dit : Est-ce que tu connais les freins des femmes pour faire du vélo ? Et du coup, je lui ai dit : Regarde autour de toi, tu vois des femmes là ? Tu vois des mamans là, à l'arrivée ? Zéro. Il me dit : Non mais si, il y en avait un. Il y en avait quelques-unes évidemment, mais c'est très peu. Je lui ai dit : tu vois ton épreuve, il faut s'inscrire en 5 minutes, un an à l'avance. Une maman, un an à l'avance, elle ne sait pas où elle va mettre ses enfants l'an prochain. Et avant de s'inscrire, elle doit savoir si c'est les vacances scolaires, si les beaux-parents peuvent le prendre, si les grands-parents sont là, etc. Et du coup, là, ton inscription, elle est passée.


Il a eu l'idée de faire ce lien qui était ouvert un peu plus longtemps pour les femmes, pour justement avoir tout ce temps de réflexion. Si tu étais une femme, tu avais le droit à un peu plus de temps pour t'inscrire. Et ça a permis vachement de trucs. L'exemple des mamans, c'était un exemple, mais ce n'est pas que le seul évidemment. Mais il y a eu plein d'émulsions où les femmes en ont parlé, à ta vue, ça s'est su. On y va, qu'est-ce qu'on fait ? On hésite. Et puis en fait, elles se sont retrouvées à s'inscrire.


J'ai eu des photos de plein de meufs qui m'envoyaient : Regarde, on est en train de prendre un café, on s'est inscrits toutes les trois ensemble. C'est la sororité. Et c'est pour ça qu'il y a eu plein de femmes. Et franchement, c'était assez inattendu. 40% d'inscrites, c'est chouette. Sachant que d'habitude, le chiffre, c'est plutôt aux alentours de 10%. Ça fait plaisir. 

Voyager, découvrir et rencontrer


J'ai fait Paris-Londres à vélo et Paris-Amsterdam. C'était un voyage génial parce que j'ai rencontré des gens. C'était juste simple et j'avais le temps, il n'y avait pas de timing. C'est plus lent. Tu vois les choses changer. Tu vois que tu changes d'un pays à l'autre. Tu changes de langue, tu changes de panneau. Tu vois ces évolutions tout au long du voyage.


J'ai traversé la France et c'est pareil, quand tu passes de région en région les couleurs des vaches, elles changent. Pourtant, tu as fait beaucoup de kilomètres, mais tu as quand même pris le temps. Tu vois les évolutions, tu entends les accents des gens qui parlent, qui sont différents.


Ma première traversée de France, je n'étais pas toute seule, j'avais croisé quelqu'un sur la route, donc on ne roulait pas tout le temps ensemble. Mais à ce moment-là, on était ensemble et on commençait à être un peu fatigué. On s'était dit le camping, il est dans 30 kilomètres, mais on en avait déjà 200 dans les pattes. Et on se dit bon, on s'arrête devant un gros panneau, il y avait écrit “auberge” et on se dit si dans l'auberge, il y a une chambre avec deux lits séparés, on s'arrête. Sinon, on pousse jusqu'au camping. Et on s'arrête et là, ils font mais non, mais ce n'est plus une auberge en fait. On a juste gardé le panneau parce qu'il était joli, mais en fait, on est juste un bar. Donc, on n'a pas de chambre. On s'est dit bon, tant pis, on repart. Ils font “non, mais vous n'allez pas faire 30 kilomètres, mais c'est beaucoup trop”. On ne disait rien, mais on en avait fait 200. “Non, mais ce n'est pas grave, je vous héberge chez moi, je ne dors pas chez moi ce soir. Je finis dans un quart d'heure. Si vous voulez, prenez un verre et après, je vous emmène chez moi. Je vous laisse ma maison et demain matin, vous claquez la porte en partant.” Et donc, on a une douche chaude dans une maison où le gars a dit bon, “il n'y a pas grand-chose parce qu'il y a un peu de café et là, ma copine qui bosse dans une pizzeria, elle vous a ramené une pizza.” Et ça, je pense que si on n'avait pas été à vélo, il n'y aurait pas eu cette anecdote là. On a été nourris, logés, lavés par cette personne qui ne dormait même pas chez elle.

Les gens sont curieux. Tu as un objet insolite.


Tu rentres dans un endroit où tu es à pied, tu es une personne lambda. Là tu es à pied avec un accessoire. Si tu rentrais avec un instrument de musique, ce serait pareil. Le vélo, c'est un instrument et ils se disent « Oh, waouh ! » Et les gens, ils n'ont pas la perception du côté technique, ils s'en foutent, ils voient des sacoches, ils se disent « Oh, waouh ! » Il y a un imaginaire autour de cet objet assez incroyable. Donc, les gens sont curieux, les gens posent des questions. 

Le voyage commence dans la préparation.


Si tu en fais une, il faut te dire de tracer ton itinéraire, ne serait-ce que de dire je pars de là et je vais par là. Tu ne traces pas forcément dans le détail, mais tu dégrossis et tu te prépares aussi dans ton matériel. Tu ne te prépares pas de la même manière si tu vas faire du camping tous les soirs ou si tu fais du bivouac ou si tu dors en dur. Ne serait-ce que tes vêtements. Est-ce que tu veux rouler en short ? Est-ce que tu veux rouler en cuissard ? Combien de fois tu veux te changer dans la semaine de voyage ? C'est déjà la préparation, c'est déjà le voyage. Tu te projettes dans 'je vais potentiellement avoir besoin de ça', donc il faut que j'aie ça. 


Dans le matériel c'est quand même course aux meilleurs équipements. Alors qu'en fait, on peut se poser la question de le racheter d'occasion, de l’emprunter. C'est du matériel qu'on utilise trois fois dans l'année. Et ce qui est d'autant mieux avec le prêt, c'est que ça te permet de tester aussi. Donc, si tu as testé une sacoche avant de l'acheter et qu'en fait, tu te rends compte qu'elle est trop grande ou trop petite parce que tu n'arrives pas à mettre toutes tes affaires, ce n'est pas celle que tu vas acheter. Tu vas en tester une autre et jusqu'à ce que le jour où tu l'achètes, tu sais que c'est elle. Et donc, c'est elle pour tes dix prochaines années. 

Tout peut donner une idée de voyage, une photo, un film, une émission de radio.


J'ai regardé un film et dans le film, il y a deux personnes qui marchent sur la plage dans le sud d'Italie et je suis partie vivre en Italie en voyant ça. Donc, mon imaginaire va très, très loin. Un petit coucher de soleil sur la plage au sud d'Italie et je suis partie vivre sept ans là-bas. Donc ouais, moi, je suis vite inspirée. En Slovénie j'ai vu un truc qui s’appelle la Tuscany Trail. Ils ont partagé des images et ils ont fait une vidéo. J'ai fait OK, j'y vais. C'est juste instantané. Il fallait que j'aille en Slovénie. C'était magnifique. J'ai adoré, c'était génial. 


Moi, je suis hyper à l'arrache. Je suis du genre à ouvrir le livre, le guide dans le train. Je ne suis pas du tout organisée. Ça me laisse aussi la possibilité d'être hyper flexible. Dire que tu rencontres des gens et si tu n'as pas prévu, tu changes d'endroit et tu ne rates pas quelque chose. Ce que tu n'avais pas prévu.

Les événements, c'est assez inspirant. Les événements, tu te dis qu'il y a des gens qui ont fait leur marque sur toi. Si tu n'as pas envie de planifier, tu peux juste t'inscrire à un événement et on te dit le départ, il est ici, l'arrêt au milieu, il est là. Il y a des gens qui ont réfléchi pour toi et tu kiffes juste. Ça, c'est des inspirations. Des fois, tu n'as pas envie d'avoir cette contrainte. Quand ils te disent 'tu pars tel jour, telle heure', tu es obligé de poser des congés un an à l'avance, tu ne sais pas, tu ne sais pas. Tu te dis OK, la ville a l'air sympa et tu farfouilles.


Je ne sais pas s'il y a une oeuvre ou un film, mais il y a quelqu'un qui m'a inspiré énormément il y a quelque temps. C'était Aurélie Gonet de Direction l'Horizon. Je ne sais pas si vous connaissez cette femme qui est incroyable, qui a fait Dijon-Pékin à vélo alors qu'elle ne savait même pas changer une chambre à air. Elle a une façon de penser le voyage qui m'impressionne énormément. Parce que tu la vois comme ça, tu ne te dis pas que c'est une sportive. Alors qu'en fait, elle a traversé le monde avec son vélo, sa randonneuse et ses grosses sacoches. Juste en vivant l'instant présent et en adaptant tout le temps son voyage, à se dire là, c'est bien, donc je passe plus de temps, quitte à prendre le train pour aller plus vite sur une autre partie.

Je me lève et je me casse


C'est marrant, hier j’ai croisé Jean-François à la Big Fat Ride. La première fois que je l'avais vu, on avait fait une sortie à vélo et c'était la canicule. C'était mille kilomètres et avec d'autres personnes ils étaient en PLS et ils se sont tirés vers le bas en disant “c'est trop dur, demain, on va avoir le vent de face.”


J’étais l à, je me suis levée. Je fais vous me saoulez, je me casse, moi, j'y vais.Vous n'avez qu'à faire une sieste. Il est midi, vous repartez à 18 h et il n'y aura plus de chaleur. Et arrêtez, quoi. Donc je me lève, je me casse. Et là, ils me regardent, ils me font mais c'est dangereux, il y a la canicule. Je regarde, je fais tes peurs, tu te les gardes pour toi. Merci, ciao.


Je suis partie et j'ai fini dans les temps. Et le lendemain, quand eux, ils se sont rendus compte qu'en fait, c'était faisable, ils étaient dégoûtés parce qu'ils se sont arrêtés à un moment où il ne faut pas s'arrêter, tu vois, avant d'avoir dormi, avant d'avoir mangé. Et ils étaient dégoûtés. C'est resté ce truc "putain, mais le jour où toi, t'es repartie".


Je les avais gravement impressionnés parce que moi, je sortais de nulle part, alors que eux, ils étaient trop forts. Je leur avais tous cloués le bec. Et tous les anciens, dont ce gars-là, Jean-François.


Comme quoi, on peut redevenir “vulnérable” avec la fatigue à n'importe quel moment. On est tous humains, on est tous les mêmes.


Mais j'aime bien cette histoire. J'ai marqué beaucoup de points ce jour-là.

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bivytopie est un podcast de Juliette Pauly, réalisé par Caroline Prigent et Charlotte Jammes pour Bivouak. Merci à Anaïs Brossard pour ses mots et pour l'inspiration infinie. Cet épisode a été monté par Jean-Gabriel Perrais.